Portraits

Quelques ancien·ne·s se présentent

Yann est un diplômé MAPS qui travaille avec différents formats: dessin et gravure, photographie et cinéma, performance et vidéo. Alors qu'il était encore étudiant en deuxième année de MAPS, il a aussi été assistant. Il comprend l'importance du groupement des anciens élèves et du réseautage et a été membre du groupe des alumni qui a été créé lorsqu'il a obtenu son diplôme en 2010.

Ses œuvres ont été exposées aux Rencontres d'Arles, au Centre Culturel Suisse de Paris, à Aperture Foundation à New York, au festival Fototage à Bienne, à la Halle Nord à Genève, à Helmhaus à Zurich ainsi qu'à la biennale FotoNoviembre de Teneriffe. Yann est aujourd'hui professeur d'arts visuels, travaillant dans le canton de Vaud et enseignant à des élèves âgés de 12 à 16 ans.

J'ai parlé avec lui de sa vie d'enseignant et de l'influence de son travail artistique sur le processus d'apprentissage de ses élèves.



Q - Yann, parlez-nous de vous et de votre parcours.

Lorsque j'étais à l'ECAV, comme on l'appelait à l'époque, nous n’étions que dix à suivre le programme MAPS. C'est l'une des choses qui m'a attiré dans cette école: la possibilité de travailler et d'étudier au sein d'un petit groupe très soudé. En tant qu'assistant, j'ai participé à l'organisation de visites de symposiums dans toute la Suisse pour les étudiants du MAPS et, grâce à ces visites, j'ai appris à bien connaître tous les étudiants et toutes les étudiantes. Il y avait d’ailleurs une excellente ambiance.

Maintenant que j'enseigne, mes élèves ont entre 12 et 16 ans et j'essaie de leur montrer ce qu'est vraiment le métier d'artiste. Pour chaque technique, j'apporte des exemples illustrant la différence entre la théorie et les applications pratiques. Pendant la durée d'un projet, qui est généralement de plusieurs semaines, j'accompagne chaque élève dans son exploration du sujet. Cela l’aide à développer ses idées artistiques ou ses compétences pratiques à sa manière. Pour tisser un lien personnel avec l'art, l'élève doit comprendre pleinement ce qu'il ou elle a créé.

Seul un petit nombre de mes élèves voudront aller dans une école d'art et devenir des artistes et, à leur âge, il n'y a pas beaucoup d'options. Certains choisissent d'aller dans une école d'art privée pour développer leur technique avant de suivre un programme dans une HES.



Q - Pourquoi avez-vous choisi le MAPS à l'ECAV?

Avant cela, j'étudiais le cinéma. Après avoir terminé ce cursus, j'ai eu envie d'explorer mes compétences créatives. J'étais particulièrement intéressé par le dessin et la gravure et curieux d'en découvrir davantage. J'aime relier les choses et je pense que les gens devraient explorer ce qui les entoure et établir des liens entre les différentes parties de leur monde.



Q - Comment votre propre expérience en tant qu'artiste vous aide-t-elle pour enseigner l’art?

Cette génération est très curieuse et très connectée grâce aux médias sociaux. Les jeunes sont motivés par l'excitation et l'interaction suscitées par les expériences de la vie réelle. En tant qu'artiste, je peux leur faire découvrir le monde de l’art, la salle de classe et les projets. Toutes les matières enseignées à l’école ne peuvent pas offrir ça.

Par exemple, j'aime emmener les élèves à des expositions et à des événements culturels et les faire participer. Nous avions organisé un concours pour lequel chaque classe devait présenter son propre projet. Leur travail est maintenant exposé au Manoir de Martigny. De cette manière, les élèves sont familiarisés très tôt à la vie d'un artiste et, heureusement, l'école est ouverte à leur participation et encourage de telles idées.
Ils demandent aussi de l'aide pour la réalisation d’un portfolio, s'ils sont intéressés par les écoles d'art. Je peux alors les aider à comprendre les exigences de ces écoles à travers le programme scolaire et ils ont le temps de prendre la décision finale sur la direction qu'ils veulent suivre lorsqu'ils terminent leur formation à 16 ans.



Q - Pourquoi êtes-vous devenu enseignant?

La réponse est simple: j'aime travailler avec les élèves et, surtout, cela m'aide à vivre et à financer ma vie d'artiste. De nombreux artistes reconnaîtront ce besoin d'équilibrer deux carrières qui se complètent. J'aime enseigner, mais j'aimerais consacrer plus de temps à mon art.

Actuellement, j'enseigne à 80 %, ce qui me laisse un peu de temps, mais j'aimerais réduire mon temps d'enseignement et augmenter celui que je consacre à l'art et à la recherche. L'école me soutient beaucoup et apprécie d'avoir un professeur d'art qui crée et travaille aussi sur des projets en tant qu'artiste. Cela donne vie à la matière pour les élèves. J'ai pu réaliser un film en stop motion avec la classe et c'est quelque chose qu'ils n'auraient pas pu faire si ce n'était pas l'une de mes passions.



Q - Partagez-vous vos propres œuvres d'art avec vos élèves et utilisez-vous des exemples de votre propre travail en classe?

Non. Ce sont des domaines distincts pour moi et je ne veux pas faire entrer mon travail dans la classe. Cela pourrait commencer à les influencer et je veux qu'ils explorent leur créativité, prennent des risques et voient ce qui se passe avec leur art.



Q - Qu’attendez-vous de l'association des anciens élèves?
J'ai hâte de créer des liens avec d'anciens camarades de classe et de nouvelles personnes. Comme je l'ai dit, il faut explorer les liens, établir les connexions et voir ce qui se passe. Cela vaut également pour le lien avec l'école et les étudiants.

Ce serait formidable de faire quelque chose ensemble et de vivre une expérience qui a une signification personnelle pour nous. Cela peut être créatif, social ou éducatif. C'est quelque chose dont je me souviens de mon temps en tant qu'étudiant à l'ECAV.



Entretien réalisé en juillet 2022

Tous deux diplômés du Bachelor of Arts en arts visuels en juin 2022, Alessandro et Lynah ont obtenu une résidence à la Ferme-Asile de Sion qui commencera en septembre 2022. Nous les rencontrons pour parler de leurs projets de fin d'études et d’un projet commun sur lequel ils ont travaillé.



Q - Alessandro, explique-nous l’importance du masque dans ton travail.

La cagoule signifie plusieurs choses à la fois. Elle a un usage pratique, en tant que masque de ski, mais elle est aussi importante pour la mise en scène. Elle est théâtrale, avec un côté comique qui rend l'image irréelle, absurde. Je voulais trouver un masque qui me représente mais que je peux changer en fonction des circonstances et du contexte.

Je me suis inspiré de la culture urbaine et des masques que je voyais dans les vidéos de hip-hop. Il y en avait différents styles, utilisés à différentes fins. Je me suis également inspiré du monde de la BD et des super-héros. Ils sont souvent masqués et cela leur donne un air mystérieux. Je voulais me libérer du physique et le masque me permet de me concentrer sur la narration plutôt que sur la personnalité du personnage. Avec cet accessoire, il est plus facile de s'intéresser à la situation et à l'action plutôt qu’à la personne qui le porte.
J'ai une formation en illustration et je trouvais difficile de me mettre en scène dans mon travail artistique. Le masque a rendu ça plus facile et j'ai pu développer tout un univers pour Solo, mon personnage cagoulé. Solo change au fil du temps et en fonction de chaque situation - et le masque change lui aussi. Même si Solo est un personnage fictif, il me donne un point de référence pour l'action.



Q - Lynah, avec Alessandro vous avez travaillé sur un projet commun. Expliquez-nous comment cela s'est fait et pourquoi l'un des personnages porte un masque en forme de tête de requin.

Notre projet Al Mare, Fel Bhar tisse un lien entre nos différentes racines, l'Algérie et l'Italie, en utilisant la mer Méditerranée comme élément commun. Les photos ont été prises par mon père lorsque j'étais jeune et que je vivais en Algérie. Nous avons intégré à ces images de vacances sur la plage des photos d'Alessandro et moi prises dans notre studio.

Il en ressort un mélange de nostalgie de vacances d'enfance, d'un temps passé, et de ce que nous sommes maintenant: de jeunes adultes et des artistes. Pour l'exposition, nous avons utilisé de petits tirages au format carte postale, de sorte que les gens doivent les regarder de près. Nous avons ajouté sur chaque photo des vues d'Alessandro et moi nous relaxant, mais Alessandro y porte toujours un masque de tête de requin. Ca fait apparaître un contraste entre la détente à la plage et la peur ou le stress que les requins suscitent sur n'importe quelle plage.



Q - Après cette collaboration, continuerez-vous à travailler sur des projets communs?

Nous allons tous deux nous installer à la Ferme Asile à l'automne et, bien que nous n'ayons encore rien décidé, nous trouvons facile et gratifiant de travailler ensemble. Nous avons tous deux travaillé dans des groupes plus importants auparavant et nous avons trouvé que cela nécessitait plus de compromis pour résoudre les problèmes. Mais en travaillant en couple, nous partageons la même vision et les mêmes perspectives. C'est donc un processus naturel. Bien que nous ayons des façons de travailler et des goûts différents, nous semblons tout simplement bien travailler ensemble.



Entretien réalisé en juillet 2022

Chiara a suivi le programme MAPS à l'EDHEA de 2015 à 2017. Elle vit maintenant à Fribourg où elle travaille en tant qu'artiste. Ses travaux se concentrent sur les thèmes du féminisme et de la durabilité.

Récemment, elle a été la première artiste choisie par la ville de Fribourg pour une résidence à Gênes. Elle y passera trois mois, de décembre 2022 à fin février 2023. Pendant cette résidence, elle explorera la palette esthétique et technique des algues à travers un projet de recherche artistique intitulé Scritture di alghe solari (Ecriture d'algues solaires).



Q - Pourquoi avez-vous choisi de vivre à Fribourg?

Je suis ici depuis 4 ans. Non seulement Fribourg est un bel endroit où vivre, mais c'est aussi une ville qui soutient beaucoup l'art et la culture. Par exemple, l’initiative Format Mondial est parrainée par la ville de Fribourg. Elle soutient 20 artistes dont les œuvres seront exposées en plein air de juin à août de cette année.



Q - Comment a débuté votre collaboration pour la résidence de Gênes?

L'idée originale de ma recherche à Gênes est née à l'EDHEA en 2016. J'ai commencé à m'intéresser à l'écologie, à la durabilité et au féminisme et avec cela au développement des cyanotypes et à l'histoire d'Anna Atkins. Cette botaniste britannique du milieu du XIXe siècle a produit des cyanotopes d'algues en 1843. On lui a refusé le prestige et la reconnaissance, car les femmes n'étaient pas autorisées à pratiquer la science de manière professionnelle à cette époque.

Elle a été mise à l'écart et oubliée. Son mérite a été attribué aux scientifiques masculins jusqu'à ce que son histoire soit racontée. Nous avons alors commencé à reconnaître les nombreuses femmes scientifiques du XIXe siècle qui n'ont pas été reconnues pour leurs découvertes et leurs travaux, qui ont pourtant permis à la science de progresser.



Q - Votre résidence ne porte donc pas uniquement sur les algues?

Mon travail à Gênes ne consistera pas seulement à produire des cyanotypes, mais aussi à explorer le rôle des femmes dans la durabilité par le biais d'installations, de photographies, de performances et de la création de matériel avec les algues.

Je travaillerai avec l'Institut scientifique de Gênes en utilisant les algues comme matériau. C'est un matériau si polyvalent que vous pouvez même le manger. Ce travail m'aidera à allier l'art et la science. Il fait partie de "l'écoféminisme" que je veux porter à l'attention des gens. J'ai découvert ce courant à l'EDHEA. Il met en avant la combinaison du féminisme, de l'art et de la science pour analyser les questions de genre à travers la nature et le monde.

Je travaille sur ce projet avec Caterina Gianciracusa. Je l'ai rencontrée lors d'une exposition et j'ai découvert que nous étions toutes les deux des anciennes étudiantes de l'EDHEA. Elle a commencé le MAPS juste après que je l'ai terminé. Nous avons l'intention d'appeler le travail Constellation de femmes. Il mettra en lumière les femmes oubliées dans de nombreuses disciplines. Des femmes qui ont tant fait mais qui n'ont pas eu la reconnaissance méritée en raison de leur sexe.

Nous effectuons actuellement des recherches sur ce domaine du féminisme et une partie de ces recherches consistera à visiter les instituts artistiques et scientifiques établis et reconnus en Europe pour fouiller dans leurs archives.

Les temps ont changé et la génération actuelle d'étudiants est très sensible aux injustices du passé. Les étudiants, hommes et femmes, sont très ouverts à la découverte de la façon dont les femmes étaient traitées et à la reconnaissance de leurs contributions qui, jusqu'à récemment, n'étaient pas reconnues.



Q - Quel aspect de votre carrière a été le plus influencé par vos études à l'EDHEA?

Je pense que deux choses ont changé depuis que j'ai étudié. Tout d'abord, le MAPS a changé ma méthodologie de recherche. Il m'a fait regarder l'art d'une manière différente et c'est devenu une habitude pour tout mon travail.

Deuxièmement, à l'EDHEA, nous avons toujours été poussés à travailler en collaboration avec d'autres. Avant cela, je ne voulais travailler que seule, mais j'ai vite compris la valeur du travail en commun et des réseaux. Comme vous pouvez le constater, mes projets impliquent une collaboration et un travail d'équipe.
J'ai gardé le contact avec plusieurs personnes à l'EDHEA. Je travaille actuellement avec Caterina et, récemment, j'ai travaillé avec Federica Martini sur le projet Womenhouse. Je pense poursuivre cette façon de faire apprise à l'EDHEA.



Entretien réalisé en juillet 2022

Portrait de Lawrence Chikwa



Q - Lawrence, qu'est-ce qui vous occupe actuellement?

En tant qu'ancien étudiant de l'ECAV, j'ai installé un studio d'art dans une ferme à la campagne, près de notre capitale zambienne Lusaka. Il y a des collaborations avec des ateliers d'art et des résidences auprès de nos studios d'art nommés Bonsecreative. L'objectif de ce projet de mise en réseau est de proposer des programmes qui renforcent la créativité et les compétences.

Chez Bonsecreative, nous pensons que la créativité et les compétences peuvent changer la vie des gens. Nous nous engageons à faire passer des programmes éducatifs et des questions sociales. Nous encourageons les jeunes à adopter l'art dans les écoles. Bonsecreative est une terre de diversité de plates et de semences, riche en flore et en réserve aquatique; un lieu de travail inspirant qui est un univers très créatif qui nous emmène dans des visions et des tranches.



Entretien réalisé en juillet 2022

Eduardo Cruces, artiste, écrivain et chercheur indépendant a été diplômé de l'EDHEA en 2014 avec un Master of Arts im Public Spheres. Son travail porte sur les pratiques artistiques et les méthodes de socialisation dans l'espace public. Eduardo est maintenant basé à Istanbul, en Turquie, où il se connecte régulièrement avec d'autres artistes, chose qu’il avait déjà entreprise au Chili et à travers l'Amérique latine.

Son projet actuel porte sur la manière dont le monde industriel affecte tout ce que nous sommes et tout ce que nous faisons, tant sur le plan politique que sur le plan culturel. Une partie de ce projet est menée en collaboration avec une autre diplômée de l'EDHEA, Nihan Somay, et tous deux sont revenus à l'EDHEA en 2019 pour une courte résidence dans l'atelier multi-éditions et en 2022 pour un atelier organisé par le SARN (Swiss Artistic Research Network) et l'EDHEA.

Eduardo est très enthousiaste vis-à-vis de l'Association des Ancien·ne·s de l'EDHEA qui est en train de démarrer. Cet article provient d’un entretien réalisé en juin 2022 et revient sur ses influences et ses projets.



Q – Qu’avez-vous retenu d’important de vos études à l'EDHEA?

La Suisse a été le premier pays d’Europe que j'ai visité. C’est la Bourse Wyss qui a rendu ce rêve possible et m’a permis de m’inscrire au MAPS en 2012. La bourse était importante, car elle m'a non seulement donné une liberté financière, mais elle a aussi permis d'établir une relation de confiance avec l'école. Il y avait des étudiants de nombreux autres pays dans la même situation que moi. Et en tant que groupe d'artistes, nous avons pu nous connecter et construire un lien fort entre nous et avec l'EDHEA.



Q - Comment votre travail a-t-il évolué grâce à vos études à l'EDHEA?

A l'EDHEA, j'ai vécu deux années d'échanges culturels et artistiques avec des artistes partageant les mêmes idées que moi. Cela m'a aidé à enrichir mes recherches et mon travail par des influences d'autres cultures, et pas seulement issues de l'Amérique latine. Cela se reflète dans la manière dont je traite mes projets, qui portent généralement sur l’influence que l'industrialisation en Amérique latine exerce sur l'ensemble du tissu social et sur la façon dont la désindustrialisation affecte des communautés entières.

J'aborde ces sujets sous un angle artistique pour voir comment l'art existe et dans quel contexte. En travaillant avec des activistes sociaux et politiques en Amérique latine, je leur offre un espace d'expression. Cela crée un cadre pour mon travail et mes recherches. Je m'en sers ensuite pour inspirer les communautés.



Q - Quel est votre projet actuel?

L’une des personnes avec lesquelles j'ai noué des liens à l'EDHEA est l’artiste turque Nihan Somay. Grâce à notre histoire et à nos perspectives similaires, nous travaillons maintenant sur un projet commun, qui explore les liens entre les cultures traditionnelles et les cultures émergentes en Turquie et en Amérique latine.

Cependant, le fait d'être basé en Turquie pose un problème qui est commun pour les artistes. Chez moi, au Chili, j'ai pu trouver un soutien financier de l'Etat pour mon travail, mais ce n'est pas le cas en Turquie. Par conséquent, je dois trouver un équilibre entre le besoin de soutien financier pour poursuivre le projet et le maintien de ma position d'artiste indépendant.



Q – Que vous ont apporté les résidences auxquelles vous avez participé?

Les résidences m’ont fourni une excellente plateforme pour la recherche après que j’ai quitté la Suisse. Je préfère les résidences axées sur la recherche à celles axées sur les expositions, car elles me laissent le temps de voyager et d'entrer en contact avec d'autres artistes, sans devoir me plier à une échéance pour une exposition.



Q - Quel conseil donneriez-vous aux diplômé·e·s de 2022 qui partent en résidence?

C'est une belle opportunité pour vous de faire le plein d'énergie après vos études et de réfléchir à la direction que vous souhaitez prendre. De mon expérience, je considérais le monde de l'art comme compétitif et individualiste. Mais après deux ans passés à l'EDHEA à créer de grandes connexions et amitiés, j'ai pu comprendre d'autres cultures et expériences et réfléchir à la solidarité et à la communauté que j'ai trouvées dans l'art.



Q - Quels autres souvenirs gardez-vous de l'EDHEA et de la Suisse?

Bien que Sierre soit une petite ville, l'EDHEA a un groupe d'étudiants dynamique et international. Le fait que la Suisse soit petite m'a permis de faire partie de la scène artistique à travers le pays et de collaborer avec des artistes à Lausanne et Genève, ainsi que dans les villes suisses-allemandes de Bâle et Zurich.




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Entretien réalisé en juillet 2022

Andrea Ebener a obtenu son CFC de graphiste en 2008. Née en Valais, où elle a grandi, elle a ensuite été basée à Zurich. Depuis trois ans, elle vit et travaille entre Winterthur et le Valais. La plupart de ses expositions se sont tenues dans la région du Bas-Valais, où elle a un réseau de contacts depuis son passage à l'EDHEA. Je l'ai interrogée sur sa formation et sur les effets de la pandémie sur sa carrière.



Q - Pourquoi êtes-vous devenue photographe?

J'ai commencé la photographie lorsque j'étais à EDHEA, qui s'appelait à l'époque ECAV, avec le professeur Chris Morgan dans son laboratoire photo. C'est ainsi que j'ai développé mon amour de la photographie analogique. Je trouve que les résultats ont plus d'âme grâce à elle, et je ressens un lien plus fort avec mon travail. Pour mon projet de diplôme, je me suis spécialisée dans les autoportraits, en me photographiant dans différentes poses et activités.

Au début, je trouvais des clients par le biais de réseaux et d'amis, mais le bouche-à-oreille et les recommandations sont vite devenus une source importante de travail. Il était également utile d'avoir des articles et des photos publiés dans des magazines comme la NZZ et le Nouvelliste.



Q - Qu'est-ce que le Bachelor que vous avez suivi à Bâle a apporté à votre carrière?

Après avoir terminé mon CFC à l'EDHEA, j'ai déménagé à Zurich pour travailler en tant qu'assistante d'un photographe. Ensuite, j'ai travaillé dans une galerie mais je me sentais coincée par le manque d'options. Ce que j'avais à l'école me manquait, le contact avec les autres étudiants et l'environnement d'apprentissage.
A Bâle, pour ma licence, j'ai pu choisir ma spécialisation et j'ai opté pour la photographie alternative. Je préfère la photographie analogique et je travaille toujours avec elle, mais j'aime le contraste entre le numérique et l'analogique.



Q - Comment la pandémie vous a-t-elle affectée?

Pendant la pandémie, il n'y avait plus d'expositions et il était impossible de rencontrer des gens. Mon travail va généralement d'une exposition à l'autre, mais la pandémie a mis un terme à ce processus. Pendant cette période, j'ai commencé à travailler dans la publicité, la photographie étant une compétence très adaptable. Toutes les galeries étaient fermées et les gens étaient invités à éviter de sortir en public; les galeries avaient donc de réels problèmes. De plus, à cette époque, l'accent était mis sur la santé et non sur la culture.



Q - Comment les choses ont-elles changé pour vous depuis la pandémie?

Pendant la pandémie, je participais régulièrement à des concours et même si cela figurait sur ma liste de choses à faire, je n'ai pas réussi à organiser mes 5’000 photos. J'ai également commencé à peindre pour la première fois. Dans un monde idéal, j'aimerais trouver un galeriste ou un conservateur pour m'aider à gérer l'aspect commercial du métier d'artiste. Quelqu'un qui trouverait des expositions régulières et qui pourrait me conseiller sur le moment et l'endroit où présenter mes œuvres. Cela me donnerait du temps pour être plus productive avec la photo et la peinture.



Q - Avec vos nouvelles compétences, préférez-vous la photographie ou la peinture?

Mes préférences changent mais je suis surtout connue pour la photographie ou la cyanographie. Je n'ai commencé à peindre qu'il y a deux ans et ma seule expérience antérieure était les cours suivis à l'ECAV. Avant de m'y remettre récemment, j'avais peur de peindre. C'est une pratique plus directe et immédiate que la photographie, qui nécessite plus d'implication.

J'aimerais faire plus de peinture à l'avenir, mais je vais poursuivre mon activité dans ces trois domaines: la photographie, la cynograhie et la peinture. J'ai toujours été attirée par la sculpture aussi, mais elle demande plus de compétences, plus d'entraînement et beaucoup d'espace. J'avais prévu de prendre des cours pour apprendre les bases, mais ils ont dû être annulés.



Q - Parlez-moi de l'idée de votre projet Digital Burn Out.

C'est un projet à long terme. J'ai fabriqué une capsule temporelle qui contient mon travail de diplôme, mes textes et mes impressions. Elle a été cachée au Lötschental et sera découverte dans 200 ans. Des boîtes plus petites contenant mes œuvres et diverses informations ont été fabriquées et distribuées dans le monde entier. L'idée est de transmettre une boîte à une nouvelle personne tous les cinq ans. De cette façon, les informations sur la capsule ne sont pas perdues. Le musée du Lötschental en garde aussi une copie.



Q - Quels sont vos projets pour l'avenir?

J'ai envisagé de trouver un conservateur ou une galerie afin de pouvoir me concentrer sur mon travail. J'aimerais continuer à travailler dans les mêmes domaines, mais aussi me tourner vers la sculpture et organiser davantage d'ateliers.



Q - Quels sont vos souvenirs de votre passage à l'EDHEA?

Un professeur qui m'a marquée est Frédy Hersperger, probablement parce que j'avais un peu peur de lui. Il était toujours très direct. L'autre professeur qui a eu une grande influence sur moi est Chris Morgan, le professeur de photographie. Il m'arrive aussi de voir des visages que je reconnais lors d'expositions et il s'agit souvent d'anciens élèves de l'ECAV. Je suis toujours en contact avec Daniel Schmid, qui est maintenant responsable du CFC, et quelques autres.



Entretien réalisé en août 2022

Q - Javier, vous êtes Chilien. Qu'est-ce qui vous a frappé à votre arrivée à Sierre?

Une chose qui m'a frappé est le changement de rythme de vie. Sierre bouge à un rythme différent de celui de Santiago. Ca a représenté un grand atout pour mes études. Un autre avantage était d’avoir pour la première fois mon propre studio, et ainsi l'espace et le temps nécessaires pour développer mes projets. Ca m'a donné la possibilité de consacrer toute mon attention au processus de création. C’est grâce à cette opportunité, je crois, que je suis devenu un artiste.



Q - Comment cela vous a-t-il aidé à devenir un artiste?

Beaucoup de mes œuvres véhiculent un message, mais il faut voir le projet dans son ensemble et être capable de faire les liens pour comprendre l'art. Les projets artistiques sont une expérience autant qu'une réflexion. L'art doit ouvrir l'esprit; il ne communique pas avec précision et le spectateur lui donne de nouvelles significations qui ne sont pas toujours voulues par l'artiste. Pour moi, il naît de la rencontre d'idées et d'objets. Avec mon propre studio, je pouvais créer l'image que j'avais en tête dans un espace réel, hors de ma tête. Le temps passé à Sierre avec l'atelier et les cours m'a aidé à donner vie à mes idées passées et présentes.



Q - Qu'avez-vous retenu du MAPS?

J'enseigne maintenant à l'université de Santiago et le MAPS a clairement influencé mon processus de réflexion. J'aime m'engager dans des idées et j'ai fait partie de l'équipe qui a été choisie pour travailler avec le gouvernement. J'ai coordonné un groupe d'artistes et aidé à rédiger une définition claire de la création. Cette définition est destinée à une directive gouvernementale qui donnera les grandes lignes des processus artistiques et de l'enseignement des arts créatifs.



Q - Le Covid a bouleversé beaucoup de choses. A-t-il changé votre perspective?

Avant le Covid, j'avais prévu des expositions à Jinxi, en Chine, et à Montréal. Ces projets ont été développés et mis en place mais ont dû être annulés.

Lorsque nous avons pu recommencer à collaborer, j'ai fait une nouvelle expérience avec la Galerie 21 à Santiago. Nous avons dû développer le projet directement dans la galerie et nous avons été grandement influencés par l'espace physique à disposition. Le projet s'est développé sans que nous sachions s'il pourrait être vu. Il impliquait la lumière et le son et nous avons dû retirer une façade en verre pour pouvoir augmenter les dimensions des œuvres d'art. En fait, nous devions fermer les volets tous les soirs pour protéger les œuvres qui sortaient par la fenêtre et se retrouvaient dans la rue. (Smiljan Radic and Javier González Pesce Disappear an Art Gallery in Chile)



Q - Quelle est la suite?

La vie reprend maintenant son cours normal et je suis le commissaire d'un projet appelé 10 ans. Il s'agit d'inviter six ou sept jeunes artistes à monter une exposition. Ils sont contractuellement obligés de la répéter tous les dix ans pour voir comment les œuvres et comment eux-mêmes se sont développés au fil du temps.

Je suis également commissaire d'un projet pour Londres en mars 2023. Nous avons sélectionné les mêmes personnes que pour le projet chinois, mais aussi d'autres artistes.



Q - Avez-vous consciemment pris la décision de passer du statut d'artiste à celui de commissaire d'exposition?

Être commissaire d'exposition vous rend plus ouvert au partage des espaces et des projets artistiques. Les artistes peuvent commencer à travailler sur la même idée, mais rapidement diverger et prendre des directions différentes. Cela ressemble beaucoup à l'enseignement, avec la diversité des idées que l'on retrouve en classe.

En 2013, j'ai été nommée pour un prix national en tant que commissaire d'exposition et j'ai gagné. Je suis également commissaire de la Biennale SACO au Chili, qui se déroule dans le désert d'Atacama. En tant que commissaire, je peux combiner la politique, l'espace et la nature et montrer les relations entre eux. L'art au Chili a été fortement influencé par la nouvelle constitution, qui nous affecte tous.

Je ne veux pas faire une seule chose. Ma vie professionnelle combine des projets individuels et collectifs, la conservation et mon rôle à l'université. Comme je l'ai dit, le rythme de vie à Santiago est très rapide et très chargé.



Entretien réalisé en juillet 2022

Mathilde Heu, diplômée EDHEA Bachelor of Art 2016, vit et travaille aujourd'hui à Londres où elle a terminé son MA en arts contemporains au Royal College of Art en 2018. Au moment où nous l'avons rencontrée, elle se trouvait à Sierre pour monter son exposition à l'Atelier Créatif Muraz, une collaboration avec une autre diplômée du RCA, Emily Stapleton-Jefferis.

Pendant sa visite, nous lui avons posé quelques questions sur ses expériences à l'EDHEA et ses projets pour l'avenir.



Q - Quels sont vos meilleurs souvenirs de votre séjour à l'EDHEA?

Je pense à la qualité de l'enseignement. Nous avions la possibilité d'avoir des entretiens individuels avec des tuteurs deux fois par semaine. Cela signifie que le tuteur me connaissait bien, comprenait mon travail et était capable de me guider dans la bonne direction. J'ai particulièrement apprécié deux tuteurs, Françoise Brunner et Christophe Fellay, et la façon dont j'ai pu bénéficier de leurs commentaires et de leur aide chaque semaine.

J'ai également pu disposer d'un espace à l'EDHEA. Chaque étudiant avait son propre studio et ca représentait une chance incroyable. J'étais également bien préparée au niveau académique pour le jury et cela m'a été très utile lorsque j'ai commencé mon Master au Royal College of Art.



Q - Pourquoi avez-vous choisi Londres pour votre MA?

J'ai également envisagé Genève, mais je souhaitais vivre une expérience internationale et améliorer mon anglais, que je parlais à peine lorsque j'ai commencé. Cela a été important car ça m'a permis d'avoir des clients du Royaume-Uni, de Suisse et des Etats-Unis. Parler anglais est également utile pour trouver des résidences et des bourses artistiques. Londres est aussi un grand centre culturel, les Etats-Unis étaient trop chers et l'Australie trop loin.



Q - Pouvez-vous nous en dire plus sur votre exposition à Sierre?

Il s'agit d'une installation qui associe l'animation et le son aux sculptures d'Emily. Elle est inspirée par le comportement collectif et le mouvement d'une volée d'oiseaux. Nous voulions examiner comment le comportement est influencé par ceux qui nous entourent et comment nous influençons à notre tour les autres. On retrouve ce phénomène dans de nombreux domaines, notamment les médias sociaux pendant la pandémie de Covid. J'ai utilisé les sons du chant des oiseaux, de la dactylographie et des discours politiques pour identifier des modèles dans la façon dont un groupe est influencé.

Le nom technique est "Live active matter systems" et j'ai reçu une subvention du Conseil des arts du Royaume-Uni pour travailler sur un projet avec l'université Constance en Allemagne. Nous allons également nous intéresser aux danseurs et à la réalité virtuelle. C'est un mélange de science et d'art.



Q - Qu'attendez-vous de l'Association des Ancien·ne·s de l'EDHEA?

J'aimerais participer à des expositions collectives d'anciens étudiants, en Suisse ou ailleurs, et je serais heureuse de participer au jury et aux expositions. J'aimerais également contribuer et poster sur la page Facebook et être en mesure d'offrir des conseils pratiques à tout étudiant envisageant d'étudier à Londres. Je pense que le réseautage est important; c'est grâce à mes contacts que j'ai pu exposer à Sierre.


Mathilde Heu et Jean-Paul Felley



Entretien réalisé en juin 2022

Manu, réalisateur et caméraman qui a obtenu son diplôme en 2007, habite maintenant dans le domaine du "Schlössli Ins" à Ins (BE). Il travaille également en tant que musicien et menuisier.



Q – Manu, qu'avez-vous fait après avoir obtenu votre licence ?

Après m’être concentré sur les Beaux-Arts à, je me suis assez vite orienté vers ce qui me passionnait le plus et j'ai étudié la vidéo et l'histoire du cinéma. J’ai pu approfondir ces domaines pendant une année en échange Erasmus avec l’école des Beaux-Arts à Cuenca. Pendant ma formation, j’ai fait une dizaine de courts-métrages.
Après avoir terminé l'ECAV, j’ai travaillé à la chaîne de télévision locale Canal9 en réalisant des reportages. Mais je voulais faire plus; la télé n'était vraiment pas ma passion.
Il a été difficile d'entrer dans le cinéma documentaire. J’ai essayé pendant des années avant de connaître un certain succès avec mon film Alptraum.



Q – La formation en Bachelor vous a-t-elle apporté tout ce dont vous aviez besoin pour démarrer votre carrière?

Il aurait été très utile d'avoir plus d'informations sur la situation juridique des cinéastes et des artistes.
Avec ce même film, Alptraum (qui veut dire "cauchemar"), j’ai rencontré toutes les difficultés juridiques qu’on peut imaginer. C’était incroyablement dur de travailler pendant une année sur un film, en y mettant de l’argent, en ayant un distributeur et tout - mais sans être sûr de pouvoir avoir un jour le droit de le montrer. Ca a été un casse-tête et une situation juridique compliquée. A la fin, on a réussi à résoudre les problèmes en remplaçant une personne du film par une actrice (donc en retournant certaines scènes), en retirant la mention "film documentaire" sur les plateformes et en payant l’un des protagonistes. C’était vraiment un cauchemar.

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Q – Comment démarrez-vous habituellement un projet?

Avec mon dernier film Au bout des rails, ça s’est passé plus facilement qu’avec Alptraum. Tout d’abord, j’ai fait un petit dossier de quelques pages pour exposer le projet. Dans ce cas – comme déjà pour un projet précédent – c’est le canton du Valais qui m’a donné une bourse d’encouragement de quelques milliers de francs.
Ca m’a vraiment fait du bien de voir que quelqu’un croyait en mes projets. Ca m’a aidé à trouver un producteur et à faire un bon dossier (de plus que 240 pages!), et par la suite à trouver le financement (l’OFC, Cinéforom avec le soutien de la loterie romande, le Pour-cent culturel Migros), un co-producteur français (Tripode productions), et par après des télévisions qui ont coproduit (France3 Occitanie) et pré-acheté (RTS) le film.
Mais tout ça, ça prend du temps… Pour Au bout des rails ça a duré 8 ou 9 années en total.



Q – Comment vos films sont-ils distribués?

Avec Alptraum, on avait un distributeur et des producteurs qui faisaient tout ce que je n’aime pas faire: dossiers de presse, networking, publicité, livraison des DCP (Digital Cinema Package) aux cinémas, etc.
C’était très agréable, c’est vrai. Et aussi la phase des festivals, des prix, des voyages, tout ça a été très riche: je suis allé jusqu’en Russie avec mon film. Il a fait une petite tournée en Russie, avec les films Heidi et Schellen-Ursli, ce qui m’a d’ailleurs bien fait rigoler. Il y avait ces deux films clichés de la Suisse et de la montagne, et mon film qui cassait ce cliché en quelque sorte à coups de marteau.

Avec Au bout des rails, mon film actuel, c’est différent: la co-productrice semble être débordée, le producteur a été malade pendant longtemps, et du coup c’est à moi de faire la grande partie du travail. Ca prend beaucoup de temps, et pour l’instant – après 3 réponses négatives – ce film n’a pas encore de distributeur en Suisse. Au pire des cas, il faudra le distribuer nous-mêmes…
Par contre, il existe une espèce de version télé de ce film intitulée Voyage à Bessèges. On l’avait rapidement montée à Toulouse il y a deux ans, car on était obligé de la sortir avant la version cinéma à cause des contrats. Ca c’est plutôt très bien passé; on est à 15 diffusions sur les différentes chaînes françaises tandis que le film Au bout des rails, qui me tenait vraiment à cœur, n’a pas encore démarré son parcours. Mais c’est comme ça dans la vie: on ne peut pas tout contrôler…
Dans quelques semaines, le film commencera quand même à faire la tournée des festivals. C’est bien, bien qu’il s’agisse de festivals moins prestigieux que j’aurais voulu.



Q – Quel est le rôle d'un festival de cinéma pour un documentaire?

Il y a une certaine concurrence dans l'industrie cinématographique et, c’est vrai, c’est agréable de se sentir pendant quelques moments comme une star, de recevoir des prix, des applaudissements, etc. Mais ça ne dure pas longtemps: deux jours plus tard, plus personne ne se souvient de toi.
Il est difficile de dire si cela fait une différence dans le succès du film. Cependant, je pense qu'il est utile de mettre le logo et le nom du festival sur l'affiche et dans la promotion.



Q – Comment le Covid a-t-il affecté votre secteur?

Les mesures anti-Covid ont fait du mal à notre branche. Moi j’ai été doublement frappé: pendant plus d’une année, presque tous mes concerts étaient annulés et je ne pouvais pas terminer mon film télé à Toulouse. En plus, j’étais en train de finir Au bout des rails qui devait être un film cinéma, alors que les cinémas étaient fermés à une partie de la population, ce qui n’a pas amélioré leur situation déjà difficile.

Là, j’étais bien content de savoir travailler comme menuisier-charpentier, en quelque sorte mon "métier de sécurité" (mais qui me passionne aussi). Et c’est vrai que ça m’a fait du bien: pas de mails à traiter, pas d’ordi, pas de responsabilité… et le soir on voit ce qu’on a fait!
En ce moment, je trouve que faire du cinéma est plus dur que de faire des chantiers. Mais je sais qu'en hiver, quand je travaillerai sous la pluie et sous la neige, la tasse de café, mon ordi et mes rêves de cinéaste vont me manquer.
Donc oui: je vais continuer ce métier. Mais d’abord je me repose en faisant des chantiers. Il faut bien reprendre de l’énergie.



Q – Avez-vous des conseils à donner aux futurs cinéastes?

J’aimais bien ce qui nous disait Gérald Morin dans nos cours de cinéma à l’ECAV: «Réalisez vos propres films, intimes et authentiques dans leur forme, et surtout ne cherchez pas à copier des films existants, sinon votre film risque d’être une copie d’une copie d’une copie...»




Entretien réalisé en juillet 2022

Ancien élève du CFC à l'EDHEA, Daniel est aujourd'hui responsable de la formation professionnelle et des programmes préparatoires. Il a découvert l'école par hasard grâce à un contact qui y étudiait déjà. A l'occasion de la rentrée scolaire, je lui ai posé quelques questions sur son parcours et sa vision de l'avenir des formations professionnelles et préparatoires.



Q – Pourquoi avez-vous choisi d'étudier le graphisme?

Tout simplement parce que j'aime ça. Avant de passer le CFC, je ne savais pas qu'il était possible d'étudier dans ce domaine et je ne connaissais rien au graphisme. Je l'ai découvert alors que j'étudiais pour une autre carrière professionnelle.



Q – Comment avez-vous choisi l'école?

Je l'ai découverte par l'intermédiaire d'un ami qui y étudiait. J'ai visité l'école, je me suis inscrit, j'ai envoyé mon dossier et j'ai passé l'examen d'entrée. Je crois qu'il y avait un site web à l'époque, mais c'est la journée portes ouvertes qui a été la plus importante, car j'ai pu rencontrer les professeurs et leur parler du cursus.



Q – Comment était l'école quand vous étiez étudiant? Y avait-il quelque chose que vous vouliez changer à l'époque?

Lorsque j'ai étudié ici, j'étais plus âgé et plus mûr que la plupart des autres élèves, et probablement plus motivé. C'était une expérience très positive. J'apprenais une profession et cela m'a donné de nouvelles opportunités. Certains des professeurs ont eu une grande influence sur mon développement. Ils m'ont impressionné par leurs connaissances et leur enthousiasme pour le sujet.

Je ne pense pas qu'il y ait quelque chose que je voulais changer à l'époque. J'étais très satisfait du programme. Il était bien organisé et avec une classe d'environ vingt-cinq élèves, c'était un groupe formidable.



Q – Comment êtes-vous devenu enseignant et responsable du programme?

Je n'avais pas envisagé d'enseigner et cela s'est fait progressivement. J'étais plus âgé que les autres élèves de ma classe. La moyenne d'âge était d'environ 17 ans et j'avais déjà 21 ans quand j'ai commencé. À la fin du CFC, l'école m'a demandé de donner un cours d'informatique car c'était mon domaine de compétence. Au début, ce n'était qu'un jour par semaine et j'ai progressivement augmenté le nombre de cours d'informatique, puis d'autres matières, pour finalement devenir responsable des programmes.



Q – Qu'est-ce que vous et votre équipe avez changé?

Comme le CFC est un titre officiel en Suisse, les résultats et les objectifs d'apprentissage sont déjà fixés pour nous par les organismes éducatifs et professionnels, mais nous avons la liberté de choisir comment les atteindre. Nous avons modifié certains contenus du programme au fil du temps et devons les revoir chaque année. Une chose qui a changé est que les élèves ont déjà une bonne connaissance de la technologie lorsqu'ils commencent. L'avantage est que nous pouvons commencer à travailler sur des projets dès la première année. Auparavant, ça n’intervenait généralement qu’en 2e année.



Q – Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez changer à l'avenir?

J'aimerais ajouter plus d'animations et d'options web. En général, les changements dans le programme suivent l'évolution de la technologie et de l'industrie. Les nouveaux enseignants sont très spécialisés et une grande partie du travail est maintenant basée sur des projets, internes et externes, et c'est la direction que prend le programme. Les projets internes sont plus utiles pour l'apprentissage des élèves car nous pouvons définir les paramètres des résultats et des objectifs pour chaque projet. Les projets externes donnent aux élèves une expérience réelle avec un client, mais les résultats de l'apprentissage ne seront pas les mêmes. Le client ne s'intéresse qu'au résultat final, pas au processus. Mais pour nous, c'est le processus de développement et d'apprentissage qui compte.



Q – Quel est l'avenir de la formation professionnelle Graphiste CFC/MP en général?

Je pense que l'avenir nous obligera à réunir différentes professions qui sont dans le même domaine. Le CFC est souvent un tremplin vers d'autres choses. Les élèves auront un portefeuille de travaux à la fin de leur formation, mais ce n'est pas la fin de leur apprentissage.

Il existe plusieurs professions étroitement liées au graphisme, comme le media design et la communication. Certaines compétences se chevauchent et nous devrons peut-être envisager de nouvelles façons d'enseigner le graphisme pour en tenir compte.



Q – Quelles sont les qualités que vous recherchez chez les élèves?

Ils doivent être curieux, avoir envie d'apprendre et de progresser, être créatifs, organisés et travailleurs. Toutes ces qualités sont importantes et il ne suffit pas d'être seulement créatif. L'idée et le concept ne sont que le point de départ. Les meilleurs graphistes complèteront le travail.

Lorsque je regarde le portfolio d'un élève qui postule, je veux voir un investissement dans son travail. A cet âge, la créativité est moins importante, mais ils doivent faire preuve de curiosité en explorant différents domaines et techniques, et ne pas se contenter d'avoir le même sujet et le même style dans leur portfolio. Ils doivent également être capables de travailler en équipe. Dans le secteur du graphisme, les outils que nous utilisons changent, mais la compréhension de base des principes de conception évolue très lentement. Les outils de communication permettent désormais de travailler en équipe, même à distance, et la collaboration est donc beaucoup plus facile.

A la fin de leurs études, les élèves doivent montrer qu'ils sont capables de gérer les aspects techniques et qu'ils ont une bonne compréhension des principes de base du graphisme. Ils doivent être capables de travailler de manière autonome sur un projet sans supervision constante. C'est également un avantage d'avoir la bonne personnalité, quelqu'un avec qui il est facile de travailler et qui sera un bon collègue.



Q – Dans le cadre du CFC, les étudiants ont-ils des contacts avec d'anciens élèves du secteur du graphisme?

Ils travaillent parfois avec d'anciens élèves qui ont des agences de graphisme. Certains anciens proposent des projets, demandent aux élèves de travailler avec eux sur des projets ou en engagent même parfois. Cela peut être utile car le CFC propose un stage de 5 mois en Suisse ou dans le monde entier. Certains élèves ont fait ce stage à Paris, Berlin, Londres, New York ou au Canada.

Je pense qu'il est très important d'acquérir une expérience professionnelle, car c'est très différent du statut d’élève. En travaillant, vous pouvez vous constituer un réseau de contacts et voir comment la théorie est mise en pratique. Après le CFC, il est important d'acquérir de l'expérience professionnelle et certains en engrangent avant de poursuivre des études supérieures.



Entretien réalisé en août 2022

Originaire d'Argentine, Valeria et a également vécu et étudié en Espagne et en Suisse. Depuis quelques années, elles est établie à Berlin où elle a obtenu une bourse pour une intervention artistique dans la médiation culturelle. En Allemagne, la médiation est courante, mais il existe un conflit d'intérêts dans l'espace public. Son travail et ses recherches portent sur la manière dont les gens gèrent le conflit d'un point de vue juridique et sur l'influence des privilèges sur l'accès aux espaces publics. Je l'ai interrogée sur sa vie à Berlin et sur son projet communautaire.



Q – En quoi consiste votre projet communautaire Who Cares?

Ce projet reflète les théories féministes et examine les alternatives à un mode de vie capitaliste, au paradigme de la croissance et de l'expansion illimitées. Au cœur du projet se trouve la conviction que nous dépendons tous de quelqu'un pour quelque chose. Personne n'est vraiment indépendant.

Le projet d'action communautaire Who Cares? a été lancé en 2020 mais, en raison du Covid et de la pandémie, il n'a pas vu le jour immédiatement. Heureusement, nous avons bénéficié du premier événement en 2020, même s'il a été annulé. Ca nous a permis de voir où nous pouvions trouver des financements et la ville de Berlin a été un sponsor très important de l'événement.



Q – D'où vient le nom de ce projet?

Dans notre société et nos communautés, nous oublions de demander "Qui fait quoi?". Il est essentiel de le savoir et d'avoir des points de référence. Cela permet de nous rappeler qu'il existe une structure et un réseau autour de nous qui nous aident à différents moments de notre vie. Nous pensons aux "soins" dans le sens de soins personnels, mais aussi de soins de l'environnement et de soins sociaux, qui deviennent plus invisibles. Les gens considèrent le réseau qui fournit les soins comme allant de soi et c'est l'occasion de mettre en lumière et de montrer sa valeur dans la société.



Q – Quels objectifs souhaitez-vous atteindre avec ce projet?

Nous partons de la perspective féministe des soins et essayons d'expérimenter la richesse des soins en nous posant quelques questions.
• Comment maintenir et préserver les soins lorsque le changement est constant?
• Comment renforcer les connaissances et trouver une distance entre le donneur et le receveur de soins?
• Comment établissons-nous des "frontières" dans les soins et quelle est la relation entre le soignant et le soigné?



Q – Quel type d'événements organisez-vous pour faire participer la communauté?

Il y a différents événements pour différents groupes, notamment des spectacles, des ateliers de sensibilisation, des discussions pour souligner comment les gens se sentent dans une situation de soins, qu'ils donnent ou qu’ils en reçoivent, et plus encore.

Par exemple, l'événement culinaire rassemble des personnes issues de la communauté locale et de l'immigration autour de la nourriture pour mettre en lumière des questions sociales. Les séances d'hypnose sont conçues pour montrer aux gens comment se détendre, réfléchir à la façon dont nous pouvons vivre nos vies sans le désir constant d'avoir plus de tout. Nous aimerions que les discussions amènent les gens à comprendre les problèmes plutôt que de simplement les mettre en évidence.



Q – Qui souhaitez-vous voir participer?

Nous voulons attirer l'ensemble de la communauté. Il y a des ateliers pour les hommes, des représentations de différents points de vue de personnes soignées, des contes pour les enfants.

Pour certains événements, les places sont limitées et il est donc nécessaire de s'inscrire.



Q – En dehors de l'événement Who Cares?, quels sont vos autres projets?

J'ai travaillé sur des vidéos et collectivement avec différents artistes, principalement à Berlin et dans les environs, après avoir voyagé pendant de nombreuses années. Dans le passé, je travaillais sous mon pseudonyme, Christina Erikson. Il est composé de mon deuxième prénom et du nom de ma mère. J'ai dû abandonner ce pseudonyme car il était moins connu que mon vrai nom et, dans le domaine concurrentiel de la recherche de financement, il est important d'avoir un nom reconnu.



Q – Avez-vous apprécié votre séjour à Sierre?

J'ai obtenu mon diplôme du MAPS en 2007 mais mon passage à l'EDHEA n'a pas toujours été simple. J'ai dû commencer le MAPS tardivement car on m'a offert une place à la toute dernière minute. J'avais déjà commencé un projet à Berlin, donc la première année je me déplaçais très souvent entre Berlin et Sierre. En deuxième année, je suis tombée enceinte et j'ai apprécié l'aide et le soutien de Federica Martina, responsable du MAPS à l'époque. Après avoir terminé le MAPS, j'ai fait une petite pause pour élever mon fils.



Q – Avec tous vos voyages dans le monde, allez-vous rester à Berlin?

C'est bien de vivre à Berlin parce que la ville soutient beaucoup l'art et la culture, mais il y a aussi beaucoup d'artistes, donc beaucoup de concurrence. Berlin est aussi une ville très accueillante pour les enfants, avec des garderies gratuites, une scène culturelle dynamique et, contrairement à la plupart des capitales européennes, un prix abordable.



Entretien réalisé en août 2022

Martin Vernier est voyageur, archéologue et artiste. Né à Lausanne, il découvre le Zanskar, une région de culture tibétaine du nord-ouest de l’Inde, à l’âge de seize ans.

Il a passé un an dans la ville de Dharamsala pour y étudier les différentes techniques artistiques de la tradition tibétaine, ou encore en tant que responsable de divers projets éducatifs et patrimoniaux au Népal et au Ladakh où il habita avec sa famille.

Dès 1994, parallèlement à la préparation de son diplôme en peinture et sculpture à l’EDHEA (alors nommée ECAV), Martin a proposé des séjours de marche et de découverte pour partager sa passion et ses connaissances des régions himalayennes (Ladakh, Népal, mais aussi Bhoutan, Sikkim…).

Depuis 1996 Martin travaille au relevé et à l’étude du patrimoine historique et archéologique du Ladakh. Bénéficiaire d’une bourse de recherche, il a passé deux années (2003-2004) à explorer et à documenter de manière systématique les pétroglyphes de la région. Il a rassemblé sa documentation dans une base de données électronique et publié la première monographie sur l’art rupestre ladakhi. Il conduit à présent des recherches sur les stèles et reliefs bouddhiques anciens. De part de sa formation artistique, il réalise les dessins archéologiques de la mission.

Marié et père de trois filles, Martin partage son temps entre ses recherches archéologiques sur le Ladakh et ses voyages dans l’Himalaya, l'Inde, le Bhoutan et le Népal en tant que guide conférencier pour des agences européennes.

Il est aussi collaborateur du programme de recherche "Archéologie, arts et culture matérielle du monde tibétain" du Centre de Recherche pour les Civilisations de l’Asie Orientale (CRCAO) et chercheur associé à l’équipe "Archéologie de l’Asie Centrale, peuplement, milieux et techniques" du laboratoire ArScAn (Archéologies et Sciences de l’Antiquité).

Aujourd’hui, Martin est directeur adjoint de la Mission Archéologique Franco-Indienne au Ladakh (MAFIL), un réseau international se consacrant à l’exploration, la documentation et la conservation du patrimoine archéologique du Ladakh. Il continue les voyages artistiques et culturels avec des groupes afin de partager ses connaissances et passions. Le prochain voyage est prévu pour Septembre 2022, ce qui coïncide avec l’édition de son nouveau livre de dessins, tiré de ses voyages des vingt dernières années.

Martin aimerait partager sa passion avec les étudiant·e·s et les diplômé·e·s de l’EDHEA afin de transmettre cette soif de découverte du monde et de l’art.



Entretien réalisé en juin 2022