Le champ de l'art face à la logique du projet

Journée de recherche

Le champ de l'art face à la logique du projet: vers une reconfiguration du monde de l'art et des pratiques artistiques?

Une journée de recherche organisée par l'Institut en Arts Visuels (IRAV) de l'EDHEA



Selon le philosophe et critique d'art Boris Groys, le projet serait devenu une "préoccupation contemporaine majeure" qui touche aussi bien le cadre professionnel que la vie privée (Groys, Boris, La solitude du projet, in En public, poétique de l’auto-design, Presses Universitaires de France, 2015, p.79.). Aujourd'hui, en effet, toute entreprise individuelle ou collective tend à être vue sous l’angle du projet. Le monde de l'art ne fait pas exception. Pour Groys, "le projet artistique, en lieu et place de l'œuvre, [se serait] indéniablement retrouvé au centre [de ses] préoccupations" (idem, p. 88). Mais, à considérer le faible nombre de publications consacrées à la problématique du projet par des chercheuses, des chercheurs et des artistes, on devrait conclure que le monde de l'art ne lui a pas encore accordé beaucoup d'attention, malgré l'importance de cette modalité de travail dans la vie des acteurs et actrices du secteur culturel.

Pour décrire leur travail, les artistes se référent de plus en plus à la notion de "projet". Cela est notamment dû au fait qu'à côté d'une production d'atelier, ou à la place d'une telle production, ils·elles travaillent souvent en fonction d'un contexte particulier ou en réponse à des appels à projets. Parallèlement à la diffusion et à la vente d'œuvres, un marché reposant sur des projets s'est donc développé, "l'économie de projet", qui repose sur une grande diversité d'opportunités: commande d'œuvres in situ, projets Kunst am Bau, résidences d'artistes, bourses de recherche, etc. Au sein de cette économie, soit les artistes répondent à des sollicitations extérieures, soit ils·elles recherchent des solutions pour financer leurs propres projets. Dans les deux cas, ils·elles sont souvent décrit·es comme des entrepreneurs ou entrepreneuses culturelles liées à la logique du management de projet.

Depuis 2013, l'EDHEA questionne les dynamiques de l'économie de projet à travers une série de projets de recherche réalisés par l'IRAV - Institut en Arts Visuels. Intitulée MAPRO – Mapping de l'économie de projet dans le monde de l'art, la recherche actuelle a pour objectif principal de mesurer l'importance du fonctionnement par projet dans le monde de l'art et dans la vie des artistes. Cette économie n'ayant jamais été quantifiée en tant que telle, MAPRO réalise un premier mapping qui porte sur les Cantons de Vaud et du Valais, en collaboration avec l'institut de géographie de l'Université Bordeaux Montaigne.

En se fondant sur des données de recherche à la fois quantitatives et qualitatives, MAPRO veut questionner l'économie de projet et ses effets sur le monde de l'art: Le travail créatif par projet transforme-t-il le monde de l'art? Dans quelle mesure, réorganise-t-il les parcours professionnels des artistes? L'économie de projet fait-elle émerger une nouvelle conception de l'art? Cette journée permettra d’ouvrir un débat sur les différents enjeux auxquels l'économie de projet confronte artistes et institutions culturelles.



Le vendredi 15 mars 2024, à la Médiathèque Valais - Sion

Programme

9h30 – 10h00 Accueil, café
10h00 – 10h10 Message de bienvenue d'Alain Dubois, Chef du Service de la culture de l'Etat du Valais
10h10 – 10h20 Message de bienvenue de Jelena Martinovic, responsable de l'IRAV - Institut en Arts Visuels de l’EDHEA – Ecole de design et haute école d’art du Valais
10h20 – 10h35 Introduction de la journée par Isabelle Moroni, maître d'enseignement à la Haute Ecole de Travail Social, HES-SO Valais, et spécialiste en politiques culturelles
10h35 – 11h00 Présentation de MAPRO par Benoit Antille, professeur-assistant à l'EDHEA et porteur du projet MAPRO
11h00 – 12h30 Table ronde 1. "L'économie de projet est-elle en train de reconfigurer les réseaux de production et de diffusion du monde de l'art?"

Intervenant·es :
· Charlotte Laubard, Co-fondatrice de la Société suisse des Nouveaux commanditaires, chargée de cours à la HEAD – Haute Ecole d’Art et de Design
· Anne-Gaëlle Lardeau, responsable EPFL Pavilions – EPFL
· Jelena Martinovic, responsable de l'IRAV - Institut en Arts Visuels, à l'EDHEA
· Pierre-Alain Hug, expert en politiques culturelles, chargé de cours (CAS Kulturpolitik und Kulturförderung / MAS Arts Management)

Questionnés avec un regard critique dans les années 1960-1970, les réseaux de l'économie d'œuvre - qui vont de l’atelier au musée en passant par les galeries et les foires - sont bien connus. Mais, entre les années 1970 et 1990, sous l'impulsion de l'économie créative et de l'économie du savoir qui se mettent en place dans le prolongement du néolibéralisme et du post-Fordisme, le monde de l'art voit apparaître une véritable économie de projet, qui repose sur de nouveaux réseaux d’acteurs, d'actrices et d'institutions. Alors que la commande de projets site-specific se généralise dans les espaces d'art et les biennales, des institutions longtemps considérées comme secondaires du point de vue de la production culturelle, comme les résidences d'artistes ou les festivals régionaux, voient leur importance grandir. Au niveau des écoles d'art, la pratique du projet intègre l'enseignement par de nouveaux programmes pédagogiques, pendant que, de leur côté, les enseignant·es sont poussé·es à fonctionner par projet à travers leur fonction de chercheur et de chercheuse. Au niveau des politiques culturelles aussi, les critères et objectifs se sont transformés. De plus en plus de dispositifs sont mis en place sur le modèle de l'appel à projet, pour mieux orienter l’art dans certaines directions: participation interdisciplinarité, intersectorialité, etc. On peut donc se demander dans quelle mesure la logique du projet est en train de reconfigurer le monde de l'art et quels sont les enjeux et finalités d'une telle reconfiguration.

12h30 – 13h30 Break (possibilité de manger sur place, au restaurant Le trait d’union, réservation au 027 346 53 64)
13h30 – 15h00 Table ronde 2. "L'économie de projet: vers une nouvelle conception de l'art?"

Intervenant·es :
· Marianne Guarino-Huet et Olivier Desvoignes, artistes, membres du collectif Microsilllon
· Séverin Guelpa, artiste et curateur
· Magali Dougoud, artiste

En travaillant par projet, les artistes ont dû intégrer de nouvelles pratiques: on pense non seulement à la charge administrative générée par la logique du financement par projet (dépôt de projet, rapports, séances, recherche de fonds, etc.) mais surtout aux modes de fonctionnement propres au management de projet: identification d'un problème à résoudre, gestion d'équipes pluridisciplinaires, collaboration ou cocréation avec des participant·es, travail en réseau, gestion des ressources financières, temporelles, matérielles, etc. Mais, de telles modalités de travail ne sont pas simplement imposées de l’extérieure. Il faut rappeler que l'usage du projet comme concept et mode d'action pour les artistes est lié à une volonté d'inscrire l’art au cœur du social qui s’est formalisée, dès les années 1960, à travers le développement des pratiques site-specific qui ont fait de la participation, de la collaboration, de l'interdisciplinarité et de l'intersectorialité des composantes essentielles de la pratique artistique. On peut alors se demander dans quelle mesure les modes de faire de l'économie de projet sont perçus par les artistes comme extérieurs à leur pratique ou, au contraire, comme parties intégrantes d’une démarche artistique.

15h00 – 15h30 Break
15h30 – 16h00 Synthèse et conclusion


Inscription

Les inscriptions sont ouvertes à toutes et tous jusqu'au mardi 12 mars.